L’avion électrique : un rêve devenu réalité
Selon le Dr Frank Anton, l’histoire de l’aéronautique a été marquée par trois moments charnière. À l'aube du 20e siècle, en 1903, le tout premier avion motorisé réalisait un vol de douze secondes. C’était la première révolution disruptive : l’avion était né et une nouvelle ère d'innovation aéronautique commençait.Au milieu du 20e siècle, une invention récente – le moteur à réaction – a fait apparaître une nouvelle classe de touristes, sirotant des cocktails au-dessus de l’océan Atlantique. C’était l’âge d’or de l’aviation. Bien qu'il ait beaucoup évolué, le moteur à réaction est toujours utilisé de nos jours. Sa commercialisation dans les années 50 et 60 peut être considérée comme la deuxième révolution disruptive de l’aéronautique.
Aujourd’hui, près de soixante ans après l’adoption du moteur à réaction, le Dr Frank Anton et son équipe préparent la troisième révolution disruptive du secteur : la révolution électrique. Et jamais les enjeux n’ont été aussi énormes.
« Mon but est de développer la propulsion électrique pour la prochaine génération, afin que l’aviation garde sa place dans notre ciel. Sinon, elle est vouée à disparaître », affirme le Dr Anton depuis son bureau sur le campus de Siemens à Erlangen, en Allemagne.
Pourquoi cette inquiétude ? « Si nous ne parvenons pas à réduire les niveaux de CO2, ce sera la mort du trafic aérien régional. Or, sans la propulsion électrique, nous n’y arriverons pas. »
Une perspective inconcevable pour un amoureux des engins volants comme le Dr Anton. Mais il est optimiste pour le futur de l'aviation, car son équipe et lui-même ont déjà conçu, construit et testé un système de propulsion hybride électrique parfaitement opérationnel.
« Mon but est de développer la propulsion électrique pour la prochaine génération, afin que l’aviation garde sa place dans notre ciel. »Dr. Frank Anton, Head eAircraft
Un problème de puissance
Lorsque le Dr Anton et son homologue chez Airbus ont lancé ce projet, le monde entier pensait que l’avion électrique était une chimère. « Tous les spécialistes ont prétendu que c’était impossible. Mais nous étions tous les deux convaincus du contraire. » Et quand la toute nouvelle équipe d’experts en aéronautique et d’ingénieurs électriciens s’est mise à plancher sérieusement sur le projet, elle s’est peu à peu rendu compte que le rêve pourrait bien finir par devenir un jour réalité.
Le premier obstacle à franchir était le rapport entre la puissance et le poids. Un moteur électrique normal délivre une puissance d’environ 1 kilowatt par kilogramme. Pour faire décoller un petit avion et le maintenir dans les airs, l’équipe devait construire un moteur d’une puissance d'au moins 6 kilowatt par kilogramme. Les spécialistes étaient sceptiques.
Mais le Dr Anton et son équipe leur ont donné tort. Et rapidement, en plus. Dès le premier essai, ils ont obtenu un résultat plus qu’encourageant, manquant de justesse cet objectif ambitieux, et ont poursuivi leurs efforts en capitalisant sur ce succès précoce pour prouver la rentabilité commerciale de la propulsion électrique.
Modéliser le futur de l'aviation
Leur arme secrète : les solutions de Product Lifecycle Management, ou PLM en abrégé, une suite logicielle développée par Siemens, qui a permis à l’équipe de concevoir, modéliser et tester chaque détail du moteur proposé avant même qu'il ne soit construit physiquement. « Face à un problème aussi complexe, qui exige une interaction parfaite entre tous les éléments, la simulation du système de propulsion dans sa totalité était la seule méthode possible pour pouvoir repenser entièrement notre approche. »
Et elle porté ses fruits : le PLM a permis d’éliminer lors de la conception toutes les pièces qui n’étaient pas nécessaires, en imitant les processus évolutionnaires du corps humain. « Nous avons retiré tous les éléments structurels superflus afin de contrer les forces élevées là où elles s’exercent, avec une quantité minimum de matériel. Exactement comme le corps humain, qui produit de l’os uniquement aux endroits soumis à de fortes charges, ce qui donne une structure tout à la fois plus légère et plus solide. »
Trouver de nouvelles façons de travailler a été la clé du succès pour l’équipe. Elle était convaincue qu'il lui fallait créer un environnement de travail propice à la collaboration entre des personnes de compétences et d’expériences diverses, mais aussi collaborer avec le client pour développer l’innovation avec lui. « Une nouvelle technologie n’a de valeur que si elle offre une plus-value au client. Comment découvrir cette valeur ajoutée ? En établissant une relation de collaboration avec le client. C’est la seule manière de comprendre l’application et ce que pourrait éventuellement apporter la nouvelle technologie. »
Le Dr Anton a trouvé les bons clients et partenaires chez EXTRA, Diamond Aircraft et Airbus. Il a constitué l’équipe qui a conçu les modèles. Et ensemble, ils ont développé un système de propulsion électrique à la fois léger et puissant. Il ne restait plus qu’à prendre les airs.
Nous ne brisons pas les lois de la physique. Nous ne faisons que trouver de nouvelles façons de combiner des solutions existantes.Dr. Frank Anton, Head eAircraft
Une étape historique
Et l’avion a décollé. En 2015, dans un silence presque total, il s’est envolé d'un terrain d'aviation au centre de l’Allemagne. C’était la première fois dans l’histoire de l’aéronautique qu'un avion était propulsé uniquement par un moteur électrique.
Depuis ce vol historique, l’Electric Aircraft Team a battu un second record, faisant voler cette fois un plus grand avion biplace avec le même système de moteur électrique.
Le Dr Anton, lui-même pilote chevronné, a été l’un des premiers à voler sur ce prototype. « C’est fantastique. C’est vraiment comme piloter une voiture électrique, tout est tellement plus fluide. » Et plus silencieux aussi. « Si vous retirez vos écouteurs, vous vous rendez compte que vous n’en avez pas besoin. Vous pouvez parler avec le copilote sans intercom – c’est assez bizarre. »
Une manière de voyager plus écologique et silencieuse. Le Dr Anton est convaincu que d’ici 2035, des avions électriques d'une centaine de places pourraient assurer des vols régionaux, contribuant ainsi à réduire les émissions de dioxyde de carbone tout en pérennisant l'avenir de l’aviation pour la prochaine génération. La troisième innovation disruptive est dans l’air. L’avion électrique arrive. Le Dr Anton, son équipe chez Siemens et ses partenaires commerciaux, ne sont pas près de s’arrêter en si bon chemin.