Créer des communautés urbaines zéro carbone en misant sur les énergies renouvelables et les technologies d’avenir
Comment les communautés urbaines peuvent œuvrer à la décarbonation et mettre en œuvre la transition énergétique.
La population mondiale est de plus en plus citadine. Les villes consomment les trois quarts de l’énergie primaire. Dans ce contexte, il convient de placer les communautés urbaines au cœur des actions entreprises en faveur de la décarbonation à l’échelle mondiale. Gauri Singh, directrice générale adjointe de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA), nous parle des leviers dont disposent les agglomérations urbaines pour réduire leurs émissions. À cet égard, les technologies Grid Edge (technologies à la périphérie du réseau électrique) jouent un rôle majeur.
Par Ward Pincus

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Les villes, de plus en plus densément peuplées, ont bien évidemment un rôle clé à jouer dans la transition énergétique et l’évolution vers un avenir zéro carbone. Les villes ont en outre de bonnes raisons d’opter pour un futur à faibles émissions. Quinze ans se sont écoulés depuis le moment historique où l’on a estimé que plus de 50 % de la population mondiale vivait en ville. En 2050, la proportion de citadins atteindra près de 70 %. Selon l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA), les villes sont responsables de près de 75 % de la consommation mondiale d’énergie primaire et de plus de 70 % des émissions mondiales de gaz à effet de serre (GES).
Les villes côtières, qui concentrent une très grande part de la population, seront particulièrement exposées aux impacts du réchauffement climatique en raison de l’élévation du niveau de la mer et de l’apparition de phénomènes climatiques extrêmes. Les mesures prises pour soutenir la décarbonation peuvent renforcer la résilience des agglomérations urbaines et stimuler la croissance économique et la création d’emplois. Compte tenu de leur contribution majeure aux émissions de GES, les actions menées par les villes peuvent avoir un impact tout aussi majeur sur le réchauffement climatique : les décideurs locaux ont parfaitement conscience de ces enjeux.
Qu’est-ce que le Grid Edge ?
Le terme Grid Edge, ou périphérie du réseau électrique, désigne l’interface entre la demande et l’offre décentralisée d’énergie, d’un côté, et le réseau électrique, de l’autre. Les solutions et les technologies déployées à cette interface comprennent les systèmes de gestion de la demande, les unités de production décentralisées et les services qui assurent l’interaction entre les différents composants du système énergétique. Citons quelques exemples de composants à la confluence des interactions au sein du système énergétique : la production d’énergie photovoltaïque décentralisée, les bâtiments et les systèmes de gestion intelligente des bâtiments, les compteurs intelligents, les véhicules électriques et les batteries de stockage.
Réduire l’empreinte des villes
Les villes peuvent activement contribuer à la décarbonation. Les bâtiments et leur construction sont en première ligne, car ils représentent chaque année 36 % de la consommation énergétique mondiale et 39 % des émissions de CO2 liées à l’énergie. Le chauffage et la climatisation sont les principaux responsables des émissions des bâtiments. L’approvisionnement en électricité de ces systèmes est donc essentiel.
Passer des chaudières à combustibles fossiles aux pompes à chaleur électriques « peut, dans la plupart des cas, multiplier par trois au moins l’efficacité énergétique », affirme Gauri Singh, directrice générale adjointe de l’IRENA, ajoutant que les réseaux de chauffage et de refroidissement urbains peuvent améliorer considérablement l’efficacité de ces services. Les bâtiments peuvent en outre être équipés de panneaux photovoltaïques, de chauffe-eau solaires thermiques et de batteries électriques implantées sur site.
Les villes sont des acteurs clés de la transition énergétique, leur rôle ne fera que croître.Gauri Singh, directrice générale adjointe de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA)
Interconnecter les différents systèmes au sein d’un bâtiment, d’un campus ou d’un quartier à l’aide d’un système intelligent de gestion énergétique des bâtiments (SGEB – BEMS en anglais) permet de réduire considérablement la demande en énergie. En utilisant les données fournies par les capteurs des bâtiments et les prévisions météorologiques, un SGEB peut anticiper les besoins et planifier la production d’énergie afin de déterminer quelle quantité d’énergie produite sur place doit être stockée pour une utilisation ultérieure et quelle quantité doit être injectée dans le réseau. Un tel système de gestion optimisée de l’énergie est en cours d’expérimentation dans un lotissement de cinq bâtiments du quartier d’Aspern Seestadt à Vienne. Il associe un SGEB, un stockage sur batteries électriques partagées, un stockage d’eau chaude, des systèmes photovoltaïques et des pompes à chaleur afin de minimiser la consommation d’énergie.
L’énergie renouvelable dans les villes
Selon Gauri Singh, le photovoltaïque est la technologie d’énergie renouvelable la mieux adaptée à un déploiement en ville. Les panneaux peuvent être installés sur les structures bâties telles que les maisons, les immeubles d’habitation et de bureaux, les bâtiments publics, les usines, les hôpitaux et les parkings. Le Net metering, ou facturation nette, peut encourager les entités privées à installer ces systèmes en créditant les propriétaires et les opérateurs privés pour l’électricité qu’ils injectent dans le réseau.
L’adaptation à grande échelle des systèmes photovoltaïques sur toits ou des véhicules électriques exige des technologies d’avenir, mais surtout un réseau intelligent (Smart Grid) capable de gérer la variabilité de l’offre issue des énergies renouvelables, liée à son intermittence, la production de plus en plus décentralisée d’électricité et la demande en hausse constante liée au recours accru à l’électricité. Pour permettre à un réseau intelligent de faire face à ces contraintes, les zones urbaines doivent être aménagées pour permettre de flexibiliser davantage la demande, explique Gauri Singh. Ainsi, des appareils intelligents et des SGEB peuvent par exemple être installés localement pour faire face à l’augmentation des tarifs de l’électricité ou pour réagir à d’autres signaux du réseau en basculant vers des batteries implantées localement ou en réduisant la consommation.
À Copenhague, le projet de recherche EnergyLab Nordhavn a permis de développer un réseau intelligent qui intègre électricité, chauffage et transports dans le quartier de Nordhavn. Ce projet s’attache à explorer des moyens de flexibiliser la demande pour relever les défis liés à la part élevée que représente l’énergie éolienne dans le bouquet énergétique qui alimente le réseau électrique. Dans ce contexte, le projet fait appel à tout un arsenal d’équipements pour améliorer l’efficacité du système énergétique : batteries, véhicules électriques pour le stockage de l’énergie, chauffage intelligent dans les appartements, pompes à chaleur et accumulateurs de chaleur pour permettre les transferts de charge depuis le réseau de chauffage urbain et assurer les réductions de température requises dans le système.
La mobilité devient électrique
« L’électrification est une évolution incontournable dans le secteur des transports », estime Gauri Singh, d’autant plus que plus de 95 % de l’énergie consommée par ce secteur provient de combustibles fossiles. Cela signifie qu’il faut déployer et promouvoir les voitures, les camions, les bus et les trains électriques. Les réseaux de recharge intelligents peuvent encourager le passage à l’électricité en simplifiant le processus de recharge des véhicules.
L’électrification est une évolution incontournable dans le secteur des transports.Gauri Singh, directrice générale adjointe de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA)
L’arrondissement londonien de Westminster dispose ainsi déjà de 1 000 bornes de recharge pour véhicules électriques. Rien que dans la Sutherland Avenue, 24 bornes ont été discrètement intégrées au réseau d’éclairage urbain sous forme de prises noires sur les lampadaires. Le comptage mobile à distance permet au système de gérer la facturation en toute transparence. Londres compte au total 5 900 stations de recharge, dont plus de 3 000 chargeurs Ubitricity. La capitale britannique se positionne ainsi en leader européen en termes de densité, loin devant Amsterdam, Paris et Berlin, et confirme son engagement en faveur de l’électrification des moyens de transport.
Couplage sectoriel
Coupler le secteur de l’électricité à celui des transports et à d’autres secteurs améliore la flexibilité et l’efficacité. L’arrondissement de Düren, en Allemagne, construit actuellement un électrolyseur photovoltaïque pour produire de l’hydrogène propre. Conçue pour interagir avec le réseau local, l’installation produira suffisamment d’hydrogène pour alimenter les bus et les trains à hydrogène de l’arrondissement. Elle pourra également être étendue en cas d’augmentation de la demande de transport.
Comme l’indique Gauri Singh, le couplage sectoriel permet en outre de relier la gestion des déchets et les transports, le biogaz (biométhane) produit ou capté dans des décharges ou à partir des boues des stations d’épuration municipales constituant une source rentable de carburant à bas prix « tout en évitant que le méthane ne soit rejeté dans l’atmosphère. »
Les décideurs politiques ont un rôle essentiel à jouer
Si les progrès techniques font partie de la solution, les responsables politiques et les régulateurs doivent également encourager les investissements à long terme dans les systèmes à faibles émissions de carbone ou zéro carbone, souligne Gauri Singh : « Sans signaux politiques à long terme, les investisseurs, les développeurs et les consommateurs risquent de perdre confiance et d’être moins enclins à s’engager dans les actions nécessaires ». Elle ajoute que cette politique doit prendre en compte toutes les parties prenantes « afin d’assurer une gouvernance durable et une transition juste et inclusive, qui soit adaptée aux communautés locales et ne laisse personne de côté ».
Sans signaux politiques à long terme, les investisseurs, les développeurs et les consommateurs risquent de perdre confiance et d’être moins enclins à s’engager dans les actions nécessaires.Gauri Singh, directrice générale adjointe de l’Agence internationale pour les énergies renouvelables (IRENA)
Les villes peuvent commencer à fixer des objectifs à l’échelle locale en matière de durabilité, explique Gauri Singh, ajoutant que les autorités municipales peuvent adopter des règlements exigeant de nouvelles constructions à haut rendement énergétique et la modernisation des bâtiments existants. Les autorités locales peuvent édicter des règles ou instaurer des mesures incitatives pour encourager l’installation de panneaux solaires sur les toits pour le chauffage et la climatisation, bannir les véhicules à moteur thermique et développer des infrastructures de recharge pour favoriser l’adoption des véhicules électriques. L’électrification des transports publics est l’un de moyens dont disposent les villes pour promouvoir un avenir à faibles émissions de carbone. Des agglomérations comme Leipzig déploient ainsi des infrastructures de recharge pour alimenter en électricité les itinéraires des bus.
Face aux nombreuses possibilités de décarbonation dont disposent les villes et à la croissance continue des populations urbaines, Gauri Singh rappelle cette réalité : « Les villes sont des acteurs clés de la transition énergétique, leur rôle ne fera que croître ».
15 juin 2021
Auteur : Ward Pincus est un journaliste indépendant spécialisé dans les questions économiques et technologiques. Il vit et travaille à Dubaï, aux Émirats arabes unis.
Crédits photos : Siemens, Getty Images
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