Combien de véhicules électriques le réseau peut-il supporter ?
Tour d’horizon des mesures à prendre par les gestionnaires de réseaux de distribution pour préparer les infrastructures à l’émergence de la mobilité du futur.
Plus d’un milliard de véhicules circulent sur les routes du monde entier. Ils représentent environ un cinquième des émissions totales de CO2, générées par la combustion de carburants fossiles. Aujourd’hui, les véhicules électriques suscitent l’espoir d’une mobilité plus durable. Les gestionnaires de réseaux de distribution sont appelés à jouer un rôle majeur dans cette évolution, bien au-delà de la simple installation de bornes de recharge.
Le constat est simple : l’électromobilité est en pleine croissance. Tesla a ouvert la voie, et les constructeurs automobiles historiques lui emboîtent le pas. Aujourd’hui, chaque constructeur de renom propose au moins un modèle électrique dans sa gamme. Pourtant, l’électromobilité tarde à décoller vraiment. Certes, la demande de véhicules électriques explose, mais les ventes à l’échelle mondiale restent modestes par rapport aux nouvelles immatriculations de modèles à motorisation essence et diesel. Sur les plus de 80 millions de véhicules neufs vendus en 2018 ; seuls 2 millions sont équipés d’un moteur électrique.
Pour lutter contre le réchauffement climatique, il faudrait inverser cette tendance, car la circulation routière est à l’origine de près d’un cinquième des émissions de CO2 à l’échelle mondiale, générées par la combustion de carburants fossiles. Si l’ensemble du parc automobile était composé de modèles à motorisation électrique alimentés exclusivement en électricité issue de sources d’énergie renouvelable, les émissions de CO2 seraient réduites d’environ six gigatonnes, soit plus que les émissions annuelles de gaz à effet de serre de l’ensemble de l’Union européenne. Afin d’atteindre les objectifs définis par l’accord de Paris sur le climat, l’idéal serait de voir les modèles électriques supplanter progressivement les véhicules thermiques.

Livre blanc : l’utilisation des véhicules électriques et l’infrastructure de recharge publique
L’électromobilité représente un défi de taille pour toutes les parties prenantes. Le magazine « Transmission & Distribution World » et Siemens s’associent pour publier un livre blanc qui présente les défis posés par la croissance du parc automobile et par la mise en place d’une infrastructure de recharge.
Véhicules électriques : un défi pour les gestionnaires de réseaux de distribution
Certes, ce n’est pas si simple. L’émergence de l’électromobilité requiert l’extension de l’infrastructure électrique afin d’assurer la recharge des véhicules. Mais l’installation de bornes de recharge n’est que la partie émergée de l’iceberg. En effet, la recharge électrique nécessite une grande quantité d’énergie. Aujourd’hui, dans une station de recharge rapide d’une capacité de 150 kW, 15 minutes de recharge consomment une quantité d’énergie équivalente à celle nécessaire pour faire griller 5000 tranches de pain. Si un grand nombre de conducteurs optaient pour un véhicule tout-électrique du jour au lendemain et utilisaient les infrastructures de recharge rapide, les réseaux électriques seraient soumis à une charge considérable.
« Les réseaux électriques actuels seraient complètement saturés si, du jour au lendemain, ils devaient assurer rapidement la recharge de millions de véhicules à batterie », explique Ben Gemsjäger, directeur adjoint du département Gestion des réseaux de distribution et des systèmes décentralisés chez Siemens PTI. Il est bien placé pour le savoir : avec ses collègues, il analyse la résilience des réseaux de distribution pour le compte de fournisseurs d’électricité afin d’évaluer la pérennité des infrastructures et propose des mesures pour les préparer aux futurs défis techniques et, le cas échéant, pour ajuster la stratégie d’investissement en conséquence.
Les réseaux électriques actuels seraient complètement saturés si, du jour au lendemain, ils devaient assurer rapidement la recharge de millions de véhicules à batterie.Ben Gemsjäger, directeur adjoint du département Gestion des réseaux de distribution et des systèmes décentralisés de Siemens PTI
L’électromobilité pose deux défis aux gestionnaires de réseaux de distribution. D’une part, le développement des véhicules électriques se traduit par une hausse du nombre de consommateurs. D’autre part, l’électromobilité n’a un effet positif sur l’environnement que si l’électricité consommée provient de sources renouvelables. Mais les énergies éolienne et solaire présentent un inconvénient pour l’équilibre du réseau : leur production est irrégulière. En outre, la plupart des éoliennes et des parcs solaires sont implantés en milieu rural, loin des villes qui concentrent la plus grande part de la consommation électrique. « À l’avenir, les opérateurs de réseaux distribution dans les zones urbaines devront relever un défi de taille : assurer l’équilibre du réseau avec un système énergétique qui se caractérise par une production décentralisée et variable. », précise Ben Gemsjäger. « Pour cela, les réseaux devront gagner en flexibilité. »
À quel rythme se développera l’électromobilité ?
Nul ne peut dire précisément à quel rythme l’électromobilité s’imposera sur le marché automobile. Ce qui est sûr en revanche, c’est que le coût est un facteur clé. Une étude récente de McKinsey suggère que, dans dix ans tout au plus, les véhicules électriques à batterie seront moins onéreux à l’achat et à l’utilisation que les modèles thermiques à moteur essence ou diesel. En outre, de plus en plus de pays adoptent des mesures incitatives pour encourager la vente de modèles avec une motorisation à faibles émissions. Certains pays envisagent même d’interdire la vente de véhicules à moteur thermique. Ainsi, la Norvège a annoncé vouloir interdire l’immatriculation de véhicules neufs à moteur thermique dès 2025. Les deux marchés gigantesques que sont la Chine et l’Inde envisagent des mesures similaires à compter de 2030, ainsi que de nombreux autres pays.
À l’avenir, les opérateurs de réseaux distribution dans les zones urbaines devront relever un défi de taille : assurer l’équilibre du réseau avec un système énergétique qui se caractérise par une production décentralisée et variable.Ben Gemsjäger, directeur adjoint du département Gestion des réseaux de distribution et des systèmes décentralisés de Siemens PTI
Cela ne signifie pas pour autant que les véhicules électriques à batterie seront les seuls gagnants de cette évolution. Il est possible, et même certainement probable, que d’autres systèmes de motorisation automobile, notamment les piles à combustible (à l’hydrogène) ou les carburants de synthèse, connaissent un essor important à moyen terme, ce qui aura également un impact sur les infrastructures.
Il est encore difficile de prédire les effets de l’émergence des futurs concepts de mobilité sur le transport personnel motorisé. De la même manière, il est impossible d’anticiper avec précision le développement des véhicules électriques à batterie : selon les scénarios de mobilité, ils pourraient représenter entre 10 et 95 % du parc d’ici 2050. « Cette fourchette de pourcentages témoigne de l’incertitude avec laquelle les gestionnaires de réseaux doivent composer », souligne Ben Gemsjäger.
Infrastructure de recharge : anticiper l’imprévisible
Les gestionnaires de réseaux de distribution n’ont pourtant pas le temps d’attendre : une grande partie de leurs infrastructures sont conçues pour une durée comprise entre 40 et 50 ans. En d’autres termes, ce qui est planifié aujourd’hui sera mis en œuvre jusqu’en 2060. Où et comment seront rechargés les véhicules électriques ? Comment dimensionner l’infrastructure de recharge ? Ces questions sont délicates, car le nombre de véhicules électriques à batterie en circulation n’est pas la seule inconnue de l’équation.
Ainsi, si les concepts d’autopartage connaissent un large succès à l’avenir, cela aura un impact sur les contraintes exercées sur l’infrastructure de recharge. En effet, les voitures partagées doivent pouvoir être rechargées rapidement après chaque utilisation, nécessitant ainsi de puissantes stations de recharge publiques. Les solutions de recharge de nuit, en revanche, demeureront une nécessité tant que les conducteurs posséderont leur propre voiture. Dans ce scénario, la vitesse de recharge joue un rôle moins important.
Pour intégrer la future infrastructure de recharge au réseau, il faudra procéder par étapes.Adam Slupinski, directeur du département Gestion des réseaux de distribution et des systèmes décentralisés chez Siemens PTI
Comment les gestionnaires de réseaux peuvent-ils s’assurer que leurs systèmes sont prêts à relever ces défis ? « Pour intégrer la future infrastructure de recharge au réseau, il faudra procéder par étapes », explique Adam Slupinski, directeur du département Gestion des réseaux de distribution et des systèmes décentralisés chez Siemens PTI. « La première étape consiste à déterminer la contrainte supplémentaire que la recharge des véhicules électriques exercera à l’avenir sur le réseau, et où se situeront les points de contact des véhicules avec le réseau. Sur la base de ces informations, nous pourrons mener une simulation sur le réseau et anticiper les besoins long terme pour optimiser l’infrastructure, tant sur le plan technique qu’économique. » Le gestionnaire de réseau peut ainsi identifier les ressources qui pourraient s’avérer critiques et optimiser les coûts de développement du réseau requis par l’émergence de l’électromobilité en établissant un plan de réinvestissement basé sur un modèle prédictif intelligent.
Pour Adam Slupinski, cette approche se prête particulièrement aux réseaux moyenne tension. « Sur les réseaux basse tension, nous sommes confrontés à une incertitude quant au nombre et quant à la localisation des futurs points de recharge. Nous devrons instaurer un système de gestion de la charge à l’échelon supérieur pour pouvoir piloter l’approvisionnement des différentes stations », précise Adam Slupinski. Ce type de système intelligent établit la communication entre le réseau de distribution et les bornes de recharge, permettant ainsi d’assurer que le nombre de véhicules électriques mis en charge simultanément n’excède pas la capacité du réseau.
Batteries de stockage et systèmes d’énergie décentralisés
En outre, les batteries de stockage et les systèmes énergétiques décentralisés pourraient être amenés à jouer un rôle de plus un plus important à l’avenir. Les batteries de stockage sont notamment utiles pour fournir de l’énergie au niveau local pour la recharge des véhicules électriques. Pour les gestionnaires de réseaux, les solutions de stockage présentent un intérêt pour l’équilibrage du système électrique et la mise en œuvre de mécanisme d’ajustement. En effet, elles peuvent absorber les excédents ponctuels de production des parcs solaires ou éoliens et, à l’inverse, compenser les carences quand les volumes d’énergie produits sont insuffisants, assurant ainsi la stabilité du réseau.
En parallèle, les unités de production décentralisées, qui sont constituées principalement de parcs solaires et de centrales de cogénération chaleur-électricité (CHP), produisent l’énergie à proximité des lieux de consommation. Ces unités de production décentralisées ont l’avantage de ne pas nécessiter la mise en œuvre de structures d’approvisionnement suprarégionales, car l’électricité est produite et consommée localement.
Exploiter la numérisation pour produire des modèles de réseau plus complets
La situation actuelle est si complexe que les méthodes conventionnelles d’analyse de réseau s’avèrent insuffisantes. « À l’avenir, les services à la collectivité et les réseaux d’approvisionnement devront s’appuyer sur un modèle numérique détaillé, aussi transparent que possible du système électrique », déclare Ben Gemsjäger. Sinon, il sera pratiquement impossible d’assurer un approvisionnement efficient et fiable pour pouvoir satisfaire la demande des consommateurs. Les modèles numériques ne se limiteront pas à identifier les vulnérabilités du réseau dans l’infrastructure existante. Ils comporteront également des données supplémentaires, notamment sur la population et l’infrastructure de mobilité, tout en prenant en compte des facteurs d’exploitation du réseau, comme la régulation de la tension, la localisation des postes de coupure et la gestion de la puissance réactive. Ainsi, les modèles numériques constitueront la base des tests de résilience du réseau fondés sur des scénarios définis, qui permettront de déterminer où et quand le réseau atteint ses limites, mais aussi d’identifier les solutions permettant de s’adapter à l’évolution du comportement des consommateurs.
« La transparence du réseau et la flexibilité des modèles sont essentielles pour pouvoir préparer au mieux les réseaux de distribution à l’émergence de l’électromobilité du futur et identifier les mesures dites “sans regret”, des mesures qui peuvent être mises en œuvre aujourd’hui sans avoir à les regretter à l’avenir, quel que soit le scénario », explique Ben Gemsjäger. L’inverse est également vrai : plus les gestionnaires de réseaux seront préparés aux contraintes de l’électromobilité de demain, plus l’électromobilité pourra s’imposer rapidement sur le marché automobile.
Photos : Siemens AG, GettyImages
2020-01-30
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