Simultelligence

La simulation et l’intelligence artificielle (IA) constituent deux manières très différentes de simuler la réalité à partir de méthodes mathématiques. Jusqu’à présent, ces deux approches avaient rarement été combinées, mais certains projets actuels font apparaître de nouvelles perspectives dans ce domaine.

Jusqu’alors, les experts en IA et les spécialistes de la simulation ne se croisaient guère qu’à la cantine ou à la machine à café chez Siemens. Rien de bien surprenant, puisque ces deux équipes avaient recours à des approches mathématiques totalement différentes dans leur travail. À l’avenir, elles devraient se retrouver régulièrement dans la même salle de réunion. « Nous découvrons de plus en plus de possibilités de combiner la simulation et l’intelligence artificielle », déclare Dirk Hartmann, expert en simulation chez Siemens. « Les deux approches ont leurs avantages et leurs inconvénients. En les associant intelligemment, nous pourrons gagner en rapidité sans perdre en fiabilité. »

Encadré : Fonctionnement de la simulation et de l’IA

La machine inconnue :

Imaginons que nous ayons face à nous une machine inconnue avec des boutons et des manettes, et que nous cherchions un programme qui simule le comportement de cette machine. Les experts en simulation comme ceux en IA sont capables de résoudre ce problème, mais en adoptant des approches différentes.

Méthode des experts en simulation

Les experts en simulation laissent la machine tourner pendant un certain temps et observent la façon dont elle réagit aux différentes entrées. Ensuite, ils la démontent, puis analysent et mesurent ses pièces et ses circuits, afin d’en comprendre peu à peu les fonctionnalités et les caractéristiques. À partir de ces observations et de connaissances mathématiques de base, ils construisent un modèle (jumeau numérique) qui simule la machine à l’aide de fonctions mathématiques.

Avantages et inconvénients de la simulation

  • Le modèle obtenu peut être expliqué et reconstitué par d’autres experts, et donc faire l’objet d’une vérification.
  • Dans la mesure où les experts possèdent aujourd’hui une connaissance approfondie de ces technologies, le modèle peut généralement être utilisé pour des plages de données qui ne sont pas explicitement testées (extrapolation des données).
  • Cependant, la création de ce type de modèles est extrêmement coûteuse et chronophage.
  • Seuls les experts qualifiés dans ce domaine et possédant les connaissances mathématiques nécessaires peuvent y parvenir.
  • Certains phénomènes, notamment les pannes de machines liées à des erreurs, sont difficiles à modéliser.

Méthode des experts en IA

Les experts en IA entraînent un réseau de neurones artificiels approprié qui utilise des échantillons de données (ensembles de données) qui permettent de mieux apprendre la relation entre la séquence d’entrée et la sortie. Si le réseau a été alimenté avec suffisamment de données (ordre de grandeur : 105), il sera capable de simuler la fonctionnalité.

Avantages et inconvénients de l’intelligence artificielle :

  • Avec suffisamment de données d’apprentissage pour différents états de fonctionnement, la création d’un modèle d’IA est rapide et facile.
  • Toutefois, il est souvent difficile d’obtenir des données d’apprentissage présentant assez de variations (ou il peut être nécessaire de les générer au prix d’un effort supplémentaire).
  • Une compréhension approfondie de la machine n’est pas nécessaire.
  • Parfois, l’IA peut même reconnaître dans les données des motifs non identifiables par le cerveau humain, voire inconnus.
  • Il est très difficile d’interpréter un réseau de neurones artificiels. De ce fait, les humains ne peuvent généralement pas reconstituer le contexte mathématique présenté par le réseau de neurones.
  • Ainsi, les décisions importantes nécessitent souvent une intervention humaine.
  • Pour la même raison, les réseaux de neurones artificiels produisent des prévisions exactes uniquement pour les plages de données pour lesquelles ils ont été entraînés (capacité d’extrapolation limitée).

Simulation ou IA ? 

La technologie à utiliser dépend de la tâche technique à réaliser. « Lorsqu’il est possible de simuler la réalité par l’intermédiaire d’un modèle, c’est-à-dire de décrire les relations entre les différentes variables physiques pertinentes à l’aide d’équations mathématiques, il est généralement judicieux d’opter pour la simulation, qui nous permet d’obtenir une représentation cohérente de la réalité », explique Dirk Hartmann. « À l’inverse, certains problèmes sont difficiles à exprimer par des formules mathématiques. Ainsi, il ne servirait à rien d’essayer de répondre à la question “Cette image montre-t-elle un chat ou un chien ?” avec une simulation. En revanche, un réseau de neurones artificiels alimenté par suffisamment d’images de chiens et de chats reconnaîtra la différence entre les deux (même si nous ne comprenons pas précisément comment). Cependant, en pratique, nous nous retrouvons souvent face à des problèmes qui ne peuvent être résolus de manière satisfaisante par l’une des deux technologies. Dès lors, il apparaît pertinent de combiner ces dernières. Les exemples présentés ici ne sont qu’un début. L’IA et la simulation gagneront à être associées dans bien d’autres projets encore. »

Le meilleur des deux mondes

Thomas Runkler, expert en IA chez Siemens Corporate Technology, ajoute : « Depuis plusieurs années, nous utilisons les données pour modéliser les processus, les machines et les usines. À l’heure actuelle, les dernières méthodes d’IA nous permettent d’associer l’apprentissage automatique aux modèles analytiques tels que les équations différentielles, les équations de Navier-Stokes ou la dynamique hamiltonienne. C’est ce que l’on appelle “l’apprentissage automatique sur base physique”. Ainsi, nous combinons le meilleur des deux approches pour construire des modèles précis en mettant à profit les données et le savoir des experts. »

Compléter le modèle de simulation standard par une IA entraînée

Il est possible de compléter un modèle de simulation par un réseau de neurones artificiels préalablement entraîné. Ce réseau a appris des relations difficiles à reproduire dans un modèle de simulation. Chez Siemens Corporate Technology, par exemple, un modèle simulation/IA permettant de prédire la durée de vie restante de petits moteurs électriques a récemment été développé. À cette occasion, le réseau de neurones artificiels avait appris les relations entre les données des capteurs et les signes d’usure, et avait ainsi complété une simulation de moteur standard. En Inde, un projet fondé sur une approche similaire permet de surveiller les transformateurs sur poteaux et de prévenir les coupures de courant.

Modèle de simulation et IA

D’autre part, un modèle de simulation peut aider un réseau de neurones artificiel à apprendre rapidement. Dans un premier temps, les réseaux de neurones non entraînés sont « muets » et doivent apprendre des relations, parfois évidentes, à travers de nombreuses étapes. Pour ce faire, ils requièrent une quantité considérable de données d’apprentissage. À l’inverse, si les réseaux de neurones artificiels possèdent déjà certaines connaissances de base au moment de la formation, leur apprentissage nécessite une quantité de données bien moindre. « Dans l’industrie en particulier, les données d’apprentissage disponibles sont souvent insuffisantes. Pour pouvoir entraîner des réseaux de neurones artificiels, ces données doivent être générées explicitement, ce qui peut s’avérer très coûteux, explique Dirk Hartmann. Pour vous donner une idée : nous avons récemment généré des données d’apprentissage pour une simulation CFD, ce qui a nécessité le calcul de 20 000 maillages optimaux. Cette opération a représenté 50 ans de temps de calcul pour le cluster de l’Université technique de Munich. »

Méthode du simplexe

« Les utilisations consistant à diviser le problème initial en une tâche d’IA et une tâche de simulation pour obtenir un résultat commun sont particulièrement intéressantes. Cette méthode est aussi fiable qu’une simulation, mais bien plus rapide, poursuit Dirk Hartmann. Les réseaux de neurones artificiels traitent les sous-problèmes à forte intensité de calcul. Cependant, nous devons accepter que leurs résultats puissent être insuffisants. C’est pourquoi nous les combinons à une simulation qui garantit l’exactitude de notre résultat. »

Simulation CFD

« Au cours d’un projet mené conjointement avec l’Université technique de Munich, nous avons employé cette méthode pour calculer la dynamique des fluides, comme la manière dont l’air circule autour d’une voiture placée dans une soufflerie, par exemple. Pour calculer la dynamique des fluides, on enregistre la géométrie en utilisant des points de maillage. Si le maillage est un élément déterminant de l’effort de calcul nécessaire, la détermination de ce maillage requiert en elle-même un effort de calcul intensif. Cette première étape est désormais effectuée par l’intelligence artificielle, ce qui accélère considérablement la simulation CFD. Il arrive que l’IA suggère un maillage peu optimal, mais cela n’a d’incidence que sur le temps de calcul et non sur le résultat. »

Design génératif

La combinaison de l’IA et de la simulation, appelée « design génératif » par les experts, permet d’accélérer la conception d’objets. Prenons une tâche de design typique : un client définit certaines exigences, telles que le poids maximum et la stabilité minimum d’un objet. À partir de ces informations, les designers doivent concevoir un produit aussi économique que possible. « Lorsque nous élaborons un design uniquement à l’aide de la simulation, nous commençons généralement par simuler plusieurs propositions – un processus assez coûteux – avant d’aboutir à un design qui puisse satisfaire les exigences du client, explique Thomas Grünewald, expert en design génératif. L’IA nous permet de gagner du temps : en entraînant un réseau de neurones artificiel, on peut élaborer des propositions de design à partir des exigences courantes des clients. Peu importe si les suggestions ne sont pas toujours bonnes, puisque chaque conception est ensuite testée à l’aide d’une simulation qui détermine si elle répond à toutes les exigences. Si le design ne convient pas, nous trouvons la faille. Lorsque l’IA émet une bonne suggestion, nous n’avons plus qu’à lancer une seule simulation et gagnons ainsi en efficacité. »

Aenne Barnard  - Avril 2020

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